Laurent MAUVIGNIER, Des hommes.
Feu-de-Bois, l'ivrogne méprisé de tous, réputé sans le sou, provoque un scandale le jour où il offre à sa soeur Solange un magnifique bijou à l'occasion de son soixantième anniversaire.Un incident qui aurait pu ne pas avoir de conséquences particulières s'il n'avait aggravé la situation en insultant Chefraoui et en terrorisant la famille de ce malheureux... C'est décidé : le maire et les gendarmes iront le chercher le lendemain, accompagnés de son cousin Rabut.
C'est Rabut, justement, qui prend en charge l'essentiel de la narration, et qui cherche à expliquer le comportement de son cousin. Sur les autres, Rabut a un "avantage" : il a vécu, quarante ans auparavant, la même expérience, celle de la guerre d'Algérie. Les heures qui le séparent du lendemain matin – et le roman est divisé en quatre parties : après-midi, soir, nuit et matin – vont être pour lui l'occasion de se remémorer le traumatisme de cette guerre, de tenter d'expliquer le comportement de celui qui fut autrefois Bernard avant de devenir Feu-de-Bois.
La guerre d'Algérie constitue ainsi le coeur du roman : c'est dans la "Nuit" que Rabut rappelle à sa mémoire les souvenirs atroces de la guerre, dans des images de cauchemars, au réalisme sans concession. Peu à peu, Rabut évoque pour lui-même l'horreur sans nom, la barbarie des hommes des deux camps jetés dans ce conflit qui allait provoquer des bouleversements profonds et irrémédiables.
Ce roman de la guerre est donc aussi roman de la mémoire. Car il s'agit pour Rabut de retrouver ce qu'il a si longtemps tenté d'oublier, et qui le rattrape pourtant chaque nuit. Il s'agit de se souvenir et de dire. De tenter de dire l'indicible, de formuler l'ineffable, d'affronter de nouveau une réalité qui ne cesse de le tourmenter et qu'il ne peut partager – et il s'agit, finalement, de donner du sens au chaos du passé pour tenter de vivre encore, pour trouver la paix. Le sens se dévoile ainsi progressivement, au fil erratique d'une écriture exigeante, instable et troublante, qui remonte le temps et plonge le lecteur dans le maëlstrom de la douleur. Un très grand livre.
Laurent Mauvignier, Des hommes, Minuit, 2009 "Double", 2011, 8,50 € (Prix des Libraires, Prix Initiales)