Octave MIRBEAU, La Grève des électeurs.

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mirbeau.jpg              Ah ! Ces délicieuses éditions Allia... Dans mon dernier billet, consacré à D'Holbach, je me réjouissais de ce qu'elles offraient en un tout petit format des textes courts mais ô combien vivifiants – j'en profite d'ailleurs pour glisser que L'Essai sur l'art de ramper à l'usage des courtisans vient également d'être édité chez Rivages Poche, dans leur « Petite Bibliothèque » (4 ).

                Eh bien ! Juste après cela, je tombe sur un autre texte tout aussi iconoclaste, ou plutôt deux textes, d'Octave Mirbeau. Le premier, qui donne son titre au livre, est « La Grève des électeurs », un article publié dans Le Figaro le 28 novembre 1888. Le second est un autre article, « Prélude », publié cette fois dans Les Temps nouveaux... le 14 juillet 1889.

                Pour donner le ton de ces diatribes d'un polygraphe insaisissable, qui loue sa plume (et son âme ?) aux bonapartistes ou légitimistes et publie nombre d'éditoriaux antisémites avant de renier cet antisémitisme et d'évoluer vers l'anarchisme, il suffit de citer les premières lignes de « La Grève des électeurs » : « Une chose m'étonne prodigieusement – j'oserai dire qu'elle me stupéfie – c'est qu'à l'heure où j'écris, après les innombrables expériences, après les scandales journaliers, il puisse exister encore dans notre chère France (comme ils disent à la Commission du budget) un électeur, un seul électeur, cet animal irrationnel, inorganique, hallucinant, qui consente à se déranger de ses affaires, de ses rêves et de ses plaisirs, pour voter en faveur de quelqu'un ou de quelque chose... Quand on réfléchit un seul instant, ce surprenant phénomène n'est-il pas fait pour dérouter les philosophies les plus subtiles et confondre la raison ? Où est-il le Balzac qui nous donnera la physiologie de l'électeur moderne ? Et le Charcot qui nous expliquera l'anatomie et les mentalités de cet incurable dément ? Nous l'attendons. »

                Nous l'attendons, certes, celui qui saura expliquer pourquoi on trouve encore des électeurs pour aller voter et, surtout, pour y croire. Car Mirbeau le précise, qu'il ne « parle ici que de l'électeur averti, convaincu, de l'électeur théorique, de celui qui s'imagine, le pauvre diable, faire acte de citoyen libre, étaler sa souveraineté, exprimer ses opinions, imposer – ô folie admirable et déconcertante – des programmes politiques et des revendications sociales ».

                Et c'est sans doute, d'ailleurs, ce qui a changé depuis l'époque de Mirbeau : en trouve-t-on vraiment encore des électeurs convaincus ? Les chiffres records de l'abstention ne montrent-ils pas, comme la majorité écrasante des politiques refuse de le voir (et de le prendre en considération), que le citoyen n'est plus dupe de cette mascarade sans cesse recommencée ? Comment, en effet, croire encore à ce jeu d'attrappe-couillons que sont les élections, quand le cynisme des gouvernants, sans aucune vergogne, tire des conclusions contraires à ce que le bulletin voulait signifier ? Ce « seul électeur » qui stupéfiait Mirbeau n'est-il pas mort depuis belle lurette ?

                Car le fond du problème est bien celui-là, que dénonçait le chroniqueur : la période électorale qui revient aussi régulièrement que le flux de la mer n'est finalement qu'une « suprême farce », une « ultime mystification » (« Prélude ») qui tente, à chaque fois, de nous faire prendre de vieilles vessies pourries pour des lampes à LED dernière génération...

Octave Mirbeau, La Grève des électeurs, Editions Allia, 2009, 3

amititi

      

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