Yasmina REZA, THEÂTRE

Publié le par deslivresdelivrent.over-blog.com

reza-art.jpg     Si les années 1980 auront été marquées, au théâtre, par Koltès et Lagarce, les années 1990 sont celles de l'entrée en scène de Yasmina Reza. Ce sont les quatre pièces de cette décennie qui sont réunies dans le volume du Livre de Poche publié en 1999. Depuis, Yasmina Reza en a écrit quatre autres, en plus de quelques récits et essais, dont un compte rendu de la campagne de l'actuel président, mais ça, c'est une autre histoire...

     Ces quatre comédies ont en commun d'explorer de façon caustique, ironique et (im-)pertinente les relations humaines : les travers, les désirs ou les déceptions de personnages issus essentiellement de milieux nantis et intellectuels sont tour à tour moqués ou sublimés, ridiculisés ou magnifiés. Mais, au final, c'est le sentiment de l'échec qui semble caractériser ces comédies grinçantes dans lesquelles chacun(e), me semble-t-il, peut se reconnaître.

     Le volume ne suit ni la date d'écriture ni la date de création. Pour ma part, j'opterai pour la date de publication. Commençons donc par La Traversée de l'hiver, publiée en 1990 chez Actes-Sud et créée en 1989 au Théâtre d'Orléans dans une mise en scène de Patrice Kerbrat, qui avait déjà créé Conversations après un enterrement en 1987 et qui créera « Art » en 1994. Six personnages en quête d'eux-mêmes, d'amour ou de reconnaissance. Un huis-clos, comme dans toutes ces pièces, qui se déroule dans une pension de famille de montagne, en Suisse. Balint aime Ariane qui aime Avner qui courtise Suzanne, la mère d'Ariane... Rien de tragique la-dedans, ou plutôt le tragi-comique vaudevillesque du quotidien, celui des situations impossibles et tout à fait probables, le tableau de l'hypocrisie des relations mondaines, mais aussi des désirs avortés et des frustrations.

     Publiée l'année suivante, mais créée dès 1987 donc, par le même P. Kerbrat au Théâtre Paris-Villette, Conversations après un enterrement apparaît comme une pièce bien plus forte – la meilleure à mon avis de ce volume avec « Art » et qui vaudra d'ailleurs à son auteur, en cette année 1987, un premier Molière de l'auteur. On y retrouve six personnages dont deux frères et une sœur réunis à l'occasion des obsèques du père, enterré dans la propriété familiale. L'hommage sincère et la peine réelle ne peuvent cacher bien longtemps la rivalité entre Nathan, le frère aîné et Alex, le cadet. Ce dernier eut pour compagne Elisa, venue à l'enterrement, mais qui est amoureuse – et aimée – de Nathan. Se joue alors le jeu de l'amour et de la haine, des rancœurs, de la jalousie et de la tendresse fraternelle avant que celle-ci ne l'emporte. Une comédie grinçante aux senteurs de cuisine familiale où mitonne le pot-au-feu des sentiments mêlés, relevée de l'épice du désir amoureux...

     La pièce suivante est à juste titre considérée comme un chef d'œuvre : « Art », publiée et créée en 1994 par P. Kerbrat au Théâtre des Champs-Elysées, signe la reconnaissance internationale de l'auteure : outre un second Molière de l'auteur pour Reza en 1995, c'est le Tony Award de la meilleure pièce qui vient, en 1998, à New York, récompenser la pièce. Cette fois-ci, le huis-clos se réduit au trio : Serge a acheté un tableau, « une toile d'environ un mètre soixante sur un mètre vingt, peinte en blanc. » Il ne s'agit cependant pas d'un procès de l'art contemporain et de sa vacuité ou de son imposture – encore que ce thème ne soit pas évacué – mais bien encore d'une peinture de la complexité des relations humaines en général et amicales en particulier : Marc et Serge, deux vieux amis, sont évidemment invités à donner leur avis... Et cet achat va être le déclencheur de la mise à nu des sentiments des trois amis, l'intransigeant Marc ne pouvant accepter le snobisme d'un Serge parvenu et le lui reprochant vertement, tandis que le troisième larron, Yvan, reste plus timoré et se refuse à trancher définitivement. Entre tension et humour irrésistible, cette belle étude de caractère et d'une amitié virile que corrodent le temps, les non-dits et l'évolution de chacun se termine en apothéose lorsque, pour sauver cette amitié, Serge accepte que Marc dessine au feutre sur son tableau... Mais un feutre effaçable qui permettra de conserver à la fois l'amitié et l'objet de la brouille !

     L'Homme du hasard enfin (publiée, toujours chez Actes-Sud, en 1995 et créée par Patrice Alexandre la même année au Théâtre Hébertot) resserre le huis-clos en un duo qui est en fait un double soliloque. Face à face, seuls dans le compartiment d'un train, l'écrivain et sa lectrice. Lui, amer, pense à son œuvre, ruminant ce qu'il considère comme une imposture, critique envers lui-même et son œuvre, mais aussi envers ses proches et leur lecture ; elle, n'ose pas sortir de son sac le dernier roman de cet écrivain qu'elle apprécie particulièrement, L'Homme du hasard.... Puis, après s'être longuement demandé comment aborder cet écrivain admiré, elle finit par sortir le livre, et lui par s'en apercevoir. La rencontre se fera-t-elle alors ? La fin de la pièce reste énigmatique et ambiguë : le dialogue est-il vraiment la transcription de la conversation entre l'écrivain ou la lectrice ou plus vraisemblablement le dialogue en forme de nouvelle imaginé par l'écrivain ? La dramaturge ne lève pas vraiment le voile avant que le rideau ne retombe...

 

Yasmina Reza, Théâtre, Le Livre de Poche,1999, 4,50 amititi

Publié dans THEATRE

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G
<br /> <br /> J'ai tellement aimé Art que je me disais qu'il fallait absolument que je lise autre chose d'elle, mais avec un tel billet, ça devient une urgence. Ce que j'ai aimé dans Art,<br /> c'est la représentation du déterminisme sociologique de l'amateur d'art en meme temps que celle des haut et des bas d'une amitié qui dure longtemps. Je ne sais pas vous, moi je lis peu de<br /> théâtre, et je recommande vraiment cette lecture !<br /> <br /> <br /> GRAINEDANANAR<br /> <br /> <br /> <br />
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