REFUSER LA GUERRE DES CIVILISATIONS.

Publié le par GRAINEDANANAR

CONTRE LA FATALITE DE LA TERREUR : REAFFIRMER UNE POSSIBLE RESOLUTION DEMOCRATIQUE DES CONFLITS.

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      N’aurions-nous pas tendance à participer plus ou moins consciemment, par un certain type de discours et de posture, à l’advenue de ce que nous craignons tant, c’est-à-dire de cette soi-disant « guerre des civilisations » ?

Il n’est certes ni mensonger ni original de dire que nous assistons à un conflit mondial des valeurs

 

Le constat des faits.


      La mondialisation économique, si elle comporte beaucoup de défauts, a au moins le bénéfice de nous faire prendre conscience (c’est-à-dire de confronter et non nécessairement de faire s’affronter) des différents systèmes de valeurs auxquels les personnes et les peuples sont attachés. Nous prenons peu à peu la mesure que ce conflit de valeurs n’est pas uniquement international mais qu’il existe et se développe également au sein même des nations, c’est-à-dire qu’il n’est pas seulement un problème de politique étrangère, mais également un problème de politique intérieure. Et nous réalisons à quel point nos Etats ne recouvrent pas ou plus des nations unitaires et homogènes.

Cette prise de conscience doit nous faire retrouver le vrai sens de la politique, à un moment où l’on ne cesse de déplorer l’impuissance et l’inconséquence du politique, car rien d’autre n’est véritablement politique que le débat concernant le choix des valeurs qui doit fonder les comportements individuels et collectifs dans la sphère publique.

 

La formulation politique du problème.


      Car le problème est celui-ci : comment établir une communication de bonne foi, conséquente et productrice de solutions entre interlocuteurs aux systèmes de valeurs, non seulement différents, mais parfois opposés ? C’est dans la direction de l’établissement de cette communication qu’il faut diriger et unir les énergies, et non les disperser dans des énoncés émotifs, idéologiques, partiaux et finalement belligènes.

Car la mondialisation économique, qui n’a rien elle non plus de fatale, a l’originalité à la fois de nous faire sentir le problème et de nous laisser entrevoir la nature de l’issue. Le fait qu’actuellement le monde occidental soit aux prises avec une certaine conception radicale et violente de l’Islam ne doit pourtant pas nous plonger dans une fatale confusion des genres et réduire le conflit politique des valeurs à une guerre de religions ou à une irrémédiable guerre de civilisations. Ce qui est en train de se jouer n’est pas une guerre de religion : si beaucoup d’Occidentaux se sentent offensés, à juste titre, par un courant intégriste de l’Islam - qu’il n’est jamais inutile de qualifier de minoritaire –, il ne nous semble pas que ce soit par orthodoxie religieuse, mais plutôt par conviction laïque. Enfin, parler d’une « guerre de civilisations » à cette occasion, si jamais on parvenait à trouver réellement un sens conceptuel à une telle expression, sous-entendrait que la civilisation musulmane est essentiellement belliqueuse, violente et expansionniste, ce qui s’apparenterait à de la diffamation.

 

L’ébauche d’une solution : la réciprocité des efforts.


      Le terme d’ « incompatibilité des valeurs» nous paraît ainsi trop définitif, et nous préférerons les termes d’ « hétérogénéité » ou  d’ « altérité » qui nous semblent plus justes dans le sens où ils reflètent simplement le constat d’une réalité, certes avec la possibilité toujours latente d’un « conflit des valeurs », mais sans préjuger pourtant du dénouement dans la caractérisation même du problème.

      Et, pour ce faire, il faudrait ne pas commencer par attenter à la possibilité d’un dialogue serein et éclairé par des pratiques et des discours qui terrorisent et/ou paralysent la pensée en mélangeant, plus ou moins délibérément, les niveaux de réalité. Il ne s’agit pas de confronter métaphysiquement ou religieusement des valeurs. Il s’agit de trouver une solution politique à cet affrontement. Yael Tamir proposait dans son ouvrage Liberal Nationalism1curative » envisagée pour répondre aux revendications nationalistes. Il faut alors réapprendre le principe démocratique autrement que comme pouvoir exclusif conféré à l’opinion majoritaire qui se révèle parfois également source d’oppression et de rapports de forces défavorables aux minorités nationales. d’envisager de donner des moyens politiques d’expression culturelle aux nationalismes, cette solution étant d’une autre nature que la simple « tolérance ». Elle pense que ce moyen anéantira le désir de contrôler le pouvoir par ces mêmes nationalismes et évitera à la fois « l’impérialisme culturel » et la « balkanisation » dangereuse qui a été pendant trop longtemps la seule solution. 

      La base de tout consensus à venir, indépendamment des valeurs particulières envisagées, doit être la reconnaissance politique à l’expression, non pas seulement des opinions individuelles, mais également des particularismes nationaux, dans les limites strictes de la reconnaissance réciproque démocratique. Le démocratique ne nous paraît pas une option, ni un particularisme culturel, mais la norme selon laquelle doivent pouvoir cohabiter et s’épanouir l’ensemble des particularismes.

      En dehors de cette solution du dialogue infiniment renouvelé sur des fondements réellement démocratiques, il ne nous apparaît pas d’autres issues possibles que le déchaînement hyperbolique d’une violence stérile. Comme le souligne Yael Tamir, l’optimisme ne consiste pas à croire que cela sera facile à réaliser, mais qu’il est possible de mettre en œuvre les moyens pour tenter d’y parvenir.

 

 

Cendrine DELTON.

Docteur en philosophie, Paris XII,

article paru dans le Mensuel de l'Université, MARS 2006

 

1 Yael TAMIR, Liberal Nationalism, Princeton University Press, 1995, Princeton, New Jersey, USA, 196p, Preface.

Publié dans PHILOSOPHIE

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