Robert COOPER, La Fracture des Nations : ordre et chaos au XXIème siècle.

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    robert-cooper.jpg Robert Cooper se définit lui-même comme « néo-idéaliste ». Le monde néo-idéaliste à partir duquel pense R. Cooper est fracturé en trois zones distinctes, quoique non imperméables l’une à l’autre.

      Il y a la zone des Etats-nations postmodernes dont l’exemple le plus abouti, quoique non achevé puisque non sécurisé, est l’Union Européenne dont la caractéristique est d’enchâsser les prérogatives souveraines dans des principes définis collectivement qui fondent la communauté. L’ensemble de ces Etats a exclu la guerre comme moyen utilisable dans leurs relations réciproques. Leur intérêt respectif est, dans une large part, soumis à la « vision élargie » de l’intérêt communautaire. La nature de leurs relations est multilatérale, juridique, économique et financière.

      A côté des Etats postmodernes existent des Etats modernes, c’est-à-dire fonctionnant selon le principe éprouvé de l’exclusivité souveraine, tels la Chine, l’Inde ou le Pakistan. La spécificité de ces Etats est l’exclusivité absolue de leurs perspectives souveraines, plus particulièrement celle sécuritaire. C’est d’ailleurs en termes de sécurité que se pose la question de la menace que représentent les Etats modernes à l’égard des Etats postmodernes selon R.Cooper.

      A côté de ces deux zones croît celle nommée « prémoderne », qui englobe l’ensemble des Etats en déliquescence pour cause de guerre civile, de faiblesse, de corruption des gouvernements, c’est-à-dire un lieu de violence exacerbée et diffuse, terreau du terrorisme, du banditisme et de la propagation des armes de destruction massive sur la scène internationale.

      Cette tripartition est un schéma intellectuel, car dans le monde comme il va, ce dernier n’est pas scindé en trois continents absolument distincts les uns des autres. Aucune des trois zones ne vit et n’évolue en circuit fermé. Au contraire, ce sont les trois éléments d’un monde en réalité « hétérogène» qui agissent les uns sur les autres à l’ère d’une mondialisation technique, économique et culturelle avancée. Aucune frontière n’est désormais plus étanche. Ces mouvements inéluctablement transnationaux peuvent receler un danger car ils rendent possible pour des chefs d’Etats mal intentionnés ou des groupes maffieux d’attenter à l’intégrité d’une nation ou d’un groupe de nations.

      Or, devant un tel danger, R. Cooper craint pour l’avenir de la zone postmoderne (principalement l’Union Européenne), car il lui trouve une double vulnérabilité : la communauté européenne étant fondée sur le renoncement historique à l’usage de la force dans leurs rapports réciproques, les Etats-membres n’en font plus une priorité politique (quand ils n’en font pas le signe d’un échec politique) et donnent ainsi l’impression qu’ils ont contribué à la constitution d’une créature sans défense. Ce talon d’Achille risque à terme de valoir une mort prématurée à l’Union Européenne.

       Dans ce premier essai, La condition du monde, R. Cooper exhorte l’Union Européenne à la réalisation d’une force commune mais surtout à l’élaboration d’une politique étrangère et de défense commune. R. Cooper demande en quelque sorte à l’Union Européenne d’avoir le courage de ses ambitions. Si l’Union Européenne veut persévérer dans l’existence et étendre son système (d’où l’idée d’une nouvelle forme d’impérialisme volontaire et éthique), il lui faut nécessairement commencer par se défendre, et même mieux, dissuader.

       Car les Etats-membres disposent d’une force (qui reste nationale et dont il faut observer que les ressources gagneraient à être mises en commun), mais il leur manque une doctrine commune de son usage. Cette politique commune devrait contribuer à forger l’identité européenne en même temps qu’elle serait censée l’exprimer.

       R. Cooper propose une doctrine européenne de « l’endiguement » qui se présente au lecteur comme une double politique, à la fois doctrine de l’usage de la force et politique « civilisatrice », dans le sens où elle viserait à contenir la violence multiforme dont le déchaînement international contemporain compromet, non pas l’ordre international (R. Cooper récuse l’idée d’un ordre international contemporain), mais la civilisation, définie comme la capacité de contenir et/ou de transformer la violence absolue et totale.

       Le second essai La condition de la paix : la diplomatie au XXIème siècle est l’objet d’une analyse des moyens positifs de cette politique postmoderne d’endiguement. R. Cooper demande à ce qu’on réalise que la force reste constitutive des relations internationales. La neutralité est une position morale, elle ne peut être une position politique pour R. Cooper. Pour lui, il faut poursuivre la logique de la force qui est d’en user éventuellement. La phrase selon laquelle « quand quelqu’un a décidé d’utiliser la force, le système retourne à la loi de la jungle», qu’on aurait tôt fait d’ériger en slogan, signifie en réalité dans le langage coopérien, que toute violence ou toute menace de violence doit entraîner une réaction. Mais Cooper rappelle que si la force contraint par sa présence, elle n’oblige nullement en son absence, ce qui signifie que la perspective militaire, si elle est nécessaire (ne serait-ce que pour dissuader), n’est pas exclusive dans l’établissement d’un ordre. La durabilité d’un ordre dépend de sa légitimité. Et la légitimité postmoderne est le fruit d’un jugement multilatéral. « Le pouvoir, l’ordre et la paix poussent sur le terreau de la légitimité, à condition toutefois d’avoir la force pour tuteur.» Il faut déterminer un usage légitime de la force commune à opposer à l’expansion d’une violence pure, rétrogradant le monde à l’état de nature hobbesien.

       R.Cooper est un « néo-idéaliste » en un double sens : d’abord parce qu’à côté de l’affirmation d’une nécessaire doctrine de la force, il envisage des moyens positifs et pacifiques d’étendre le monde postmoderne, moyens dont l’économie est un circuit prometteur quoique non infaillible. La force seule ne garantit pas la durabilité de l’ordre. « Ce à quoi sert le mieux la force armée c’est encore à créer un espace au sein duquel les solutions politiques sont à négocier […] La force armée, comme l’argent, a une part à jouer dans le changement des politiques, mais il faut trouver d’autres voies si l’on veut que ces changements aient une quelconque espérance de vie. Et cela nous amène au « parler » et … aux pourparlers.» A cette fin, il encourage également le monde postmoderne à mettre en pratique sa théorie d’une mentalité cosmopolitique en s’accoutumant à la « vision élargie » des intérêts communautaires, en essayant d’adopter pour un temps la position de l’étranger, ce qui implique nécessairement de commencer par le reconnaître et l’accepter comme tel.

      R.Cooper est également « néo-idéaliste » dans le sens où sa prudence réaliste n’empêche pas d’affirmer sa conviction en la possibilité d’un avenir du monde postmoderne et de sa valeur intrinsèque à condition qu’il soit déterminé et qu’il sache se réformer.

    R. Cooper tente de nous montrer comment le postmodernisme comme « nouvelle définition du NOUS » est autant un idéal qu’une nécessité stratégique urgente.

 

Cendrine DELTON : Robert COOPER, La Fracture des Nations : ordre et chaos au XXIème siècle, article publié dans la revue INFLEXIONS, civils et militaires : pouvoir dire, n°1, 2005

Publié dans PHILOSOPHIE

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